D’où vient cette matière inflammable, l’amadou, utilisée depuis la préhistoire ? Elle est tirée de l’amadouvier. Mais encore ! L’amadouvier est le nom familier donné à un champignon polypore non comestible mais non toxique (Fomes fomentarius) qui pousse, en parasite, sur les troncs de feuillus vivants ou morts comme le chêne et le peuplier, mais aussi sur le frêne, le saule et le hêtre. ——- Amadouvier (Fomes fomentarius) ——— Il a la forme d’un sabot de cheval gravé de sillons concentriques formant entre eux des bourrelets qui s’amincissent avec l’âge ; sa taille peut devenir impressionnante puisque l’on trouve des spécimens atteignant 50 centimètres de diamètre ! Une coupe transversale de ce polypore montre la présence d’une croûte, qui durcit avec le temps, sous laquelle on trouve la chair, douce au toucher, dont la consistance a celle de la ouate et d’où l’on tire l’amadou ; à la face inférieure, en couches superposées, se distinguent des tubes s’ouvrant par des pores très petits, ronds, de 2 à 3 mm, souvent obstrués par une matière blanchâtre. ——- Coupe transversale de l’amadouvier. 1 : croûte dure ; 2: chair ou trame (amadou) ; 3: tubes. —– L’amadou a été utilisé à la fin de la préhistoire pour produire du feu ; les hommes de cette époque l’amorçaient grâce à des étincelles provenant de la percussion d’un morceau de pyrite contre une roche dure (silex) qu’ils dirigeaient sur un morceau d’amadou qui se consumait alors et qui était tout à fait capable d’enflammer de petites brindilles bien sèches. Ces étincelles n’entraînent pas systématiquement la combustion lente de l’amadou ; ce dernier doit être traité au préalable et mis ensuite à l’abri de l’humidité. On ne saurait reproduire ici les opérations délicates qui sont nécessaires à sa fabrication ; on comprendra mieux pourquoi ce produit est si cher ! Sur le site www.futura-sciences.com, consacré à l’amadouvier, on trouvera un excellent article sur la préparation de l’amadou écrit par Bertrand Roussel et son équipe. Outre sa possibilité de s’enflammer facilement, l’amadou connaît ou a connu d’autres usages : il a servi à la fabrication de vêtements, de pansements grâce à son effet hémostatique dû à sa texture et de mèche pour les artificiers. Citons, pour finir, les briquets à amadou remplacés aujourd’hui par des briquets à essence.
Charles Plumier (1646-1704)
Issu d’une obscure famille il naquit à Marseille en 1646. Vers 16 ans il entra dans les Ordres Minimes où il étudiera les Mathématiques et la Physique et où il se fera remarquer pour ses dons de sculpteur, de dessinateur et de peintre. Envoyé à Rome dans le couvent de la Trinité de Mont, qui appartenait à la France, il fera la connaissance de Paolo Boccone (1633 – 1704) qui l’initiera à la botanique. Ses études théologiques terminées il retourne en France. Elève de Joseph Pitton de Tournefort, dont il deviendra l’assistant, il réunit un herbier considérable constitué de plantes provenant des côtes de Provence et du Languedoc dont il dessine la plupart des espèces en vue d’un ouvrage composé de planches. Mais le cours de sa vie va prendre une autre direction lorsque Michel Begon, intendant des Galères à Marseille, est chargé par Louis XIV de trouver un naturaliste qui accepte d’explorer les Antilles françaises ; ce rôle échoira à J.D. Surian, apothicaire marseillais, qui offrira à Plumier de partir avec lui (1689). —— ——– Il fit preuve, là-bas, d’un tel zèle qu’il fut récompensé à son retour en touchant une pension de la Cour et en recevant le titre de botaniste du Roi. En 1693 et en 1695 il accomplira deux autres voyages non moins fructueux dans cette partie du monde et en Amérique centrale. Il rapportera de ces expéditions des manuscrits illustrés de planches extrêmement précises décrivant 106 genres nouveaux parmi lesquelles figure la plante appelée par lui : Fuchsia triphylla flore coccinea, en mémoire du Médecin-Botaniste allemand Leonard Fuchs (1501 – 1561) et que les indigènes de Saint-Domingue désignait sous le nom de « plante de beauté ». Il décrivit aussi le « Bégonia » en remerciement à Charles Bégon, son meilleur ami. En 1704 (peut-être 1706) il allait s’embarquer de nouveau dans le but de répertorier les différentes variétés de quinquina en vue d’apporter un remède contre le paludisme qui faisait des ravages dans les rangs des soldats du roi Soleil, lorsqu’il fut terrassé lui-même, au port Sainte-Marie, près de Cadix, par cette maladie parasitaire qui fut suivie d’une pleurésie mortelle. La France perdit ce jour l’un des plus importants explorateurs botaniques de son temps. Loin de n’être qu’un descripteur il distribua, en genres, les plantes et les animaux qu’il observa. Sa classification, originale, fut reprise en partie par Linné. C’est Charles Plumier qui introduisit l’usage de donner aux genres nouveaux les noms de botanistes marquants, de voyageurs, de médecins ou de naturalistes (exemples : les frères Bauhin, Otto Brunfels, Jacques Daléchamps, Mathias de l’Obel, Conrad Gessner, Pietro Andrea Matthioli, Nicolas- Claude Fabri de Peiresc, etc.).
Arum (Arum italicum, Araceae, Arales)
Les noms communs des arums sont le gouet ou pied-de-veau pour Arum maculatum. Zantedeschia aethiopica, originaire d’Afrique du Sud, espèce fréquemment plantée dans nos jardins, est aussi communément appelée arum. Arum serait le nom d’origine égyptienne désignant ces plantes. Il aurait été repris par les Grecs (aron) puis les Romains qui nous l’auraient finalement transmis. Les arums sont des espèces vivaces, herbacées, à feuilles sagittées ou hastées. ——- Feuille de Arum italicum. —– Les arums possèdent l’inflorescence caractéristique des Araceae. Des fleurs réduites, sans périanthe, enfoncées dans un axe charnu. L’inflorescence est nommée spadice. Les fleurs sont unisexuées (mâles ou femelles) ou stériles. Le spadice est entourée d’une bractée, souvent colorée, la spathe. ——— Inflorescence de Arum italicum. spt : spathe ; spd : spadice ; amp : ampoule formée par la spathe. ——- La pollinisation chez les arums est très particulière.Les insectes sont attirés par l’odeur du spadice dont, seules les fleurs femelles sont fonctionnelles dans un premier temps (protogynie). Les appendices des fleurs stériles piègent les insectes dans l’ampoule formée par la base de la spathe : ils pollinisent alors les fleurs femelles fertiles. —– Disposition des fleurs dans le spadice de Arum italicum. Photographie et légende : Alexandre Bray —— Après cette pollinisation croisée (allopollinisation), les fleurs mâles deviennent fertiles, les appendices des fleurs stériles femelles se flétrissent, les insectes se chargent de pollen. Quand les appendices des fleurs mâles stériles se flétrissent à leur tour, ils peuvent quitter la spathe qui les piégeaient pour polliniser une autre plante. Ce type de pollinisation croisée obtenue par protogynie couplée à un piégeage des insectes se retrouve aussi chez Aristolochia clematitis. Les inflorescences ont les mêmes formes (convergence morphologique) et le même fonctionnement (convergence physiologique) alors que les 2 taxons n’ont aucune parenté (convergence hétéroplastique). Les convergences hétéroplastiques sont fréquentes dans le monde végétal.
Le safran (Crocus sativus, Iridaceae)
Ses usages ne sont pas uniquement condimentaires. Autrefois, Le safran entrait aussi dans la préparation des encres d’enluminure et servait également à teindre les tissus. On a développé, depuis, des teintures synthétiques. Le safran était également utilisé en pharmacie comme antispasmodique, anesthésiant et chez les Arabes comme aphrodisiaque. Pourquoi cette épice est-elle si chère, plus chère même que la truffe, le caviar ou l’or ? Un kilogramme de safran, en effet, peut valoir entre 3000 et 25000 Euros le kilo ! A noter, toutefois, que 0,4 grammes suffisent pour parfumer une paëlla de six personnes. Qu’est-ce qui justifie ce coût ? Le safran est tiré d’une espèce de crocus à pétales violets (Crocus sativus) qui s’épanouit d’octobre à novembre et qui appartient à la famille des Iridacées (Iridaceae en latin). Chaque fleur porte un style grêle divisé dans le haut en trois branches épaisses et rouges appelées stigmates. —– Fleur de Crocus sativus —— Les stigmates de Crocus sativus constituent le safran officinal et condimentaire, denrée, comme on l’a souligné, de prix exorbitant mais qui s’explique par le fait qu’il faut près de 140 000 fleurs pour obtenir 5 kilos de stigmates qui se réduisent à un kilo quand ils sont séchés au soleil ou sur un feu de bois. La floraison s’étalant sur six semaines, la cueillette est journalière et se pratique sur des sujets à peine épanouis. Selon un article canadien il faut compter, au moment de la récolte, une vingtaine de personnes par hectare, chacune ramassant, en moyenne, 125 grammes de safran par heure (le style se coupe avec l’ongle du pouce sur l’index). Par mètre carré il faut compter 200 fleurs ! On compte aujourd’hui beaucoup de pays producteurs comme l’Inde, l’Iran, le Cachemire (30 à 40 tonnes par an), le Maroc, l’Espagne, la Tunisie. En France le safran est cultivé dans le Quercy, le Gâtinais. Dans le Loiret, à Boynes, on pourra même assister, en automne, à sa récolte dans la campagne environnante et visiter le musée consacré au ramassage et au traitement de cet or rouge ! Vu son prix élevé il existe de nombreux succédanés comme les fleurons (fleurs tubulées) jaune orangé du Carthamus tinctorius. Gare aux mélanges ! Il est donc conseillé d’acheter des stigmates car les poudres sont souvent frelatées. Contrairement à ce que l’on pourrait croire les vêtements des bouddhistes et des sâdhus indiens sont, la plupart du temps, teints en jaune non pas avec les stigmates de Crocus sativus mais avec le rhizome du curcuma appelé aussi safran des Indes. Dans nos contrées, le crocus ne doit pas être confondu avec le colchique d’automne qui fait partie des Colchicacées (Colchicaceae en latin) et est toxique. Il est pourtant facile de les différencier : le colchique possède 6 étamines contre seulement 3 pour le crocus.
Jean Bauhin et Gaspard Bauhin
Jean Bauhin, père, est né en août 1511 à Amiens et décéda à Bâle en janvier 1582. Fils de médecin il apprit la chirurgie chez son oncle à Paris. Ayant embrassé la Réforme, la Reine Marguerite de Navarre, sa patiente et sa protectrice, lui conseilla de fuir la France alors qu’il allait être exécuté pour hérésie. Avec sa femme et son fils Jean il gagna Anvers puis Bâle où il devint le médecin des émigrés néerlandais persécutés pour leur foi. Bauhin fut reçu en 1575 comme membre extraordinaire de la faculté de médecine de Bâle. Jean Bauhin, l’aîné, naquit à Bâle en décembre 1541. Comme son père la médecine l’intéressa ; il fit ses études à Bâle, à Tübingen (Allemagne), à Montpellier, à Padoue (Italie) et obtint son diplôme de docteur ce qui lui permit d’exercer à Lyon, où il soigna les pestiférés, puis à Genève. Lors de son séjour à Tübingen il étudiera la botanique en compagnie de Léonhart Fuchs et à Zurich avec Conrad Gessner. Lors de son passage à Lyon il fera la connaissance de Jacques Daléchamps qui l’aidera dans ses recherches botaniques. Mais pour échapper aux persécutions religieuses il doit quitter la France et se réfugier à nouveau en Suisse. C’est alors qu’il accompagne Conrad Gessner dans ses herborisations en Suisse avant de s’installer à Bâle où il exercera la médecine. En 1570 il est appelé à Montbéliard au titre de médecin personnel du duc de Wurtemberg. Jean Bauhin sera le premier à cultiver la pomme de terre soit deux siècles avant Parmentier (elle avait d’abord été plantée dans le jardin botanique de Bâle et s’était répandue peu à peu dans les cantons de l’ouest de la Suisse pour passer ensuite en Franche-Comté, en Bourgogne et dans le Dauphiné). On lui doit également la création, sur le domaine du Charmontet, d’un jardin botanique pour répondre au besoin d’acclimater et de cultiver les plantes rapportées par les explorateurs. Son ouvrage majeur, qui ne fut publié qu’après sa mort survenue en 1613, est son Historia Plantarum universalis, une compilation et une description systématique du monde végétal. Cet ouvrage décrit plus de 5000 plantes et comporte plus de 3500 illustrations, la plupart empruntées à Fuchs. Il a également fait, avec Andrea Cesalpino (1519 – 1603), une classification des plantes. Gaspard Bauhin est né à Bâle en janvier 1560. Initié à la botanique par son frère aîné Jean et à l’anatomie par son père, il fit des études de médecine à Bâle, Padoue, Bologne, Montpellier, Paris et Tübingen ; elles seront couronnées par un diplôme de docteur en médecine qui lui permettra d’exercer à Bâle en 1581. Professeur de grec à l’université de ladite ville en 1582 il y occupera, en 1589, la chaire d’anatomie et celle de botanique nouvellement créée. Ses travaux, dans ce dernier domaine, lui assureront une durable renommée ; son Pinax Theatri Botanici, publié en 1671, inventorie 2700 espèces dont la première description précise de la pomme de terre classée avec justesse dans la famille des Solanacées. Dans un autre ouvrage Bauhin décrit 6000 espèces, fruit de quarante ans d’observation et orné de 400 figures sur bois. Il réalise plusieurs flores des environs de Bâle et met en chantier un grand projet Theatrum Botanicum qui devait compter 12 volumes mais il n’en terminera que trois. Gaspard Bauhin ne se contente pas de reprendre et de commenter les anciens textes : il propose une ébauche de classification, certes imparfaite, mais qui rompt avec le système alphabétique. Il propose un nom court, souvent constitué de deux mots qui préfigurent le système binomial de Linné. Le recensement de nouvelles plantes rendaient d’ailleurs ce classement nécessaire. Il faut savoir que jusqu’alors les plantes étaient réparties en fonction de leur taille, du lieu où elles poussaient ou de leur ressemblance. Gaspard est mort à Bâle en octobre 1624. Comme le souligne un auteur, ces deux illustres frères ont plus fait, à eux seuls pour le progrès de la Botanique, que tous les autres ensemble qui les ont précédés et même suivis jusqu’à Joseph Pitton de Tournefort (1656 – 1708). Ce furent des hommes rares, dont le savoir immense et les solides travaux consacrés à la Botanique, les rendent dignes de l’immortalité qu’ils leur ont acquise. Car tant que cette science naturelle ne tombera pas dans l’oubli, les noms de Jean et Gaspard Bauhin vivront avec elle dans la mémoire des hommes. Ils entreprirent l’un et l’autre d’y joindre une synonymie, c’est à dire une liste exacte des noms que chacune d’elles portait dans tous les auteurs qui les avaient précédés. Ce travail devenait nécessaire pour qu’on pût profiter des observations de chacun d’eux, car sans cela il devenait presque impossible de suivre et démêler chaque plante à travers tant de noms différents. Le genre Bauhinia est caractérisé par des feuilles simples bilobées qui font référence aux deux frères Bauhin unis par la même passion pour la Botanique. Feuille de Bauhinia madagascariensis Photographie : Jean-Bernard Beaufils Feuille de bauhinia grimpant (Iguaçu, Brésil, 2005)