Espèce morphologique, espèce biologique ou espèce évolutive
_
Les principaux concepts de l’espèce : morphologique, biologique et évolutive
L’espèce morphologique La notion morphologique de l’espèce est souvent considérée comme une variation du concept de l’espèce typique consistant à réunir en une espèce des individus possédant des caractères morphologiques semblables. Ce n’est pas le cas, car elle est souvent une définition pratique. Ainsi Darwin, tout évolutionniste qu’il était, avait une approche morphologique de l’espèce puisqu’il écrivait en 1859 : « le terme d’espèce est donné arbitrairement pour des raisons pratiques à un groupe d’individus se ressemblant ». —— Charles Darwin (1809-1882) dont le bicentenaire de la naissance est fêté en 2009 est le père de la théorie de l’évolution des espèces. —— La morphologie est encore la méthode la plus commune d’identification des espèces : les flores, les monographies font appel à des critères morphologiques. Cronquist (1968) donne aussi sa définition morphologique de l’espèce : les espèces sont les plus petits groupes qui sont distincts de manière logique et répétée et reconnaissable par des moyens normaux. Il convient de se demander ce qu’entendait Cronquist par “moyens normaux” (loupes, loupes binoculaires, microscopes) ? Certains auteurs ont souligné les limites du concept morphologique. Ainsi, n’est-il pas rare de constater des différences morphologiques entre des formes juvéniles et adultes ou femelles et mâles (dimorphisme sexuel). Certaines espèces sympatriques (vivant dans un même lieu) peuvent être très proches morphologiquement sans jamais s’hybrider (sibling species). Alors que, dans un premier temps, elles ont souvent été considérées comme une seule espèce, elles restent séparées par des barrières pré-zygotiques ou post-zygotiques (avant ou après la fécondation) : par exemple, périodes de floraison ou d’anthèse (avant la maturation des étamines) différentes. L’espèce biologique La morphologie n’étant donc pas le seul facteur à considérer, un lien supérieur est alors nécessaire : le lien familial, permettant d’aboutir à la notion classique d’espèce a suffit pendant très longtemps. Ainsi, selon Illiger (1800, in Cuénot, 1936) : l’espèce est l’ensemble des êtres qui donnent entre eux des produits féconds ; selon Remane (1927), l’espèce est une communauté reproductrice qui se continue naturellement avec une fécondité soutenue. Appartiennent donc à la même espèce les individus morphologiquement semblables et interféconds. Selon Mayr (1942), l’espèce est un groupe d’individus ayant la faculté potentielle ou réelle de se croiser, isolément des autres groupes. Certains ont reproché à Mayr une définition non évolutive de l’espèce. L’auteur réfute cet argument en précisant que l’évolution des espèces étant une donnée acquise elle n’a pas à être mise en exergue dans sa définition. Dans le concept biologique, les espèces sont isolées les unes des autres par des barrières de reproduction empêchant la production d’un trop grand nombre de combinaisons disharmonieuses de gènes incompatibles. Ces barrières sont intrinsèques, puisque liées à la population considérée : l’isolement géographique ainsi que l’intervention de l’homme ne peuvent donc être qualifiés de barrières de reproduction dans la conception biologique de l’espèce. Selon Mayr (1996), la conception biologique de l’espèce admet aussi certains passages (« fuites ») de gènes d’une espèce à l’autre ; cependant, étant différentes, elles ne fusionneront jamais complètement ; une espèce se caractérisant par un pool commun de gènes. Mayr reconnaît que la conception biologique de l’espèce ne s’applique pas aux espèces se propageant par multiplication végétative. Selon lui, de telles espèces n’ont pas besoin que leur génotype soit protégé par des barrières de reproduction. Dans tous les cas, définir une espèce à multiplication asexuée donc, une population mono- ou poly-clonale, ne pose pas de difficultés. L’espèce évolutive Le concept d’espèce évolutive est apparu plus récemment. Selon Simpson (1961), l’espèce est un lignage de populations (populations ancestrales et descendantes) évoluant séparément des autres et ayant son propre rôle unitaire et ses propres tendances évolutives ». Pour Wiley (1978), elle est un lignage simple qui sauvegarde son identité des autres lignages et qui a ses propres tendances évolutives et sa propre destinée historique. Pour leurs défenseurs, ces définitions permettent de prendre en compte les espèces à multiplication asexuée non considérées dans le concept biologique de l’espèce. Cependant, ces définitions sont fortement critiquées par Mayr (1996) : selon lui, le critère compréhensible de séparation des espèces dans le concept biologique (isolement reproductif) est remplacé par un critère très flou de « maintien d’identité », de « tendances évolutives » (quelles sont-elles et comment les définir ?), de « destinée historique » (comment une espèce actuelle peut-être classée sur une destinée historique qui ne prévaut que pour le futur ?).