L’espèce (1) : du fixisme et du créationnisme à l’évolutionnisme
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L’espèce : unité de base de la hiérarchie du vivant
La notion d’espèce est intuitive pour chacun des passionnés de plantes ou d’animaux. Nécessité pratique de classification, de regroupement d’êtres reconnaissables, elle se distingue souvent, mais pas toujours, des autres. C’est une notion partiale : les agriculteurs, les horticulteurs, les forestiers, les écologistes ou les botanistes de terrain, sans parler des biologistes moléculaires ne connaissant les plantes que par le biais des échantillons d’ADN à séquencer, n’auront pas la même conception de l’espèce. Cependant, la majorité considèrera l’espèce comme l’unité de base des classifications. —– Alors que pour les forestiers, ces taxons de pins sont bien différents et ont longtemps été considérés comme des espèces distinctes, Pinus nigra, P. austriaca, P. laricio, P. pallasiana et P. salzmanii appartiennent à l’espèce large Pinus nigra. —– L’espèce a fait l’objet dans le passé de nombreuses définitions et, actuellement, aucune ne fait l’unanimité car le concept est difficile à modéliser. Il est aisé d’établir une hiérarchie inclusive au sein d’un individu qui peut être physiquement divisé en différentes parties : individu, systèmes d’organes, organe, tissus, cellules, organites, macromolécules, molécules. Il est, à l’inverse, plus difficile d’établir une hiérarchie pyramidale, c’est-à-dire de chercher des liens au sein de populations ou d’espèces mais aussi de les différencier des autres. En effet, les espèces ne sont pas délimitées dans le temps et dans l’espace de la même façon que les cellules d’un individu.
Du fixisme et du créationnisme à l’évolutionnisme
La notion d’espèce type, immuable, est basée sur les systèmes de Platon et d’Aristote au 4ème siècle avant Jésus Christ. Tous les individus d’une espèce sont les expressions d’un même type ; les variations importantes sont considérées comme des aberrations, des manifestations imparfaites du type. Ces idées reprises et diffusées dans l’Europe médiévale et renaissante ont donné corps à une conception créationniste de l’espèce, et souvent fixiste, qui a duré jusqu’au XVIIème siècle : les espèces étaient créées par Dieu pour l’éternité. Un siècle avant Linné, John Ray (1628-1705) affirmait que tout ce que donne la semence d’une même plante appartient à la même espèce. Pour Linné (1707-1778), il y a autant d’espèces que Dieu en créa au commencement. En définissant les espèces, il voulait délimiter les « groupes » originaux créés par Dieu. —– Si la notion créée par Linné de nommer une plante par un nom de genre combiné avec un nom d’espèce est encore d’actualité, ce n’est pas le cas pour sa définition de l’espèce. —– La notion fixiste de l’espèce commence à être bousculée au XIXème siècle. Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) affirme : « La Nature n’a réellement formé ni classes, ni ordres, ni familles, ni genres, ni espèces constantes, mais seulement des individus qui se succèdent les uns aux autres et qui ressemblent à ceux qui les ont produits…tant qu’aucune cause de changement n’agit sur elles » (Discours d’ouverture de l’an XI, in Cuénot, 1936). Pour ce père du transformisme, les variations du milieu induisent des modifications héréditaires des espèces. ———- ———- Les publications de Charles Darwin (1809-1882) ont donné une reconnaissance définitive à la théorie de l’évolution. Selon lui, les espèces ne sont pas modifiées mais, sélectionnées par le milieu. Ne survivent, par sélection naturelle, que les individus les mieux adaptés (“fitness”). S’il existe des espèces très bien définies, et reconnues par tous, cela est dû à l’extinction des formes de passage mal adaptées, et aussi à divers modes d’isolement, écologique, sexuel, géographique. Les variétés bien marquées seraient donc des espèces naissantes.